Biais en recrutement - Entretien avec Julia Pelé
Julia Pelé, consultante senior chez Michael Page à Genève, nous donne sa perspective des biais en recrutement.
Date: 20. novembre 2024
Catégories: PGmeet

Julia Pelé, consultante senior chez Michael Page à Genève, nous donne sa perspective des biais en recrutement.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ton rôle en tant que recruteuse en quelques mots ?
Je m’appelle Julia, je suis née à Genève en Suisse. J’ai obtenu un Bachelor en psychologie du travail à l’Université de Genève, avec un échange partiel à Madrid, puis un Master en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Neuchâtel. Mon objectif a toujours été de combiner une dimension humaine, dynamique avec le monde de l’entreprise. J’ai eu l’opportunité de faire un stage durant mon Master dans une agence de recrutement, qui m’a ensuite embauchée en CDI. J’y suis restée un an et demi, et cette expérience m’a permis de découvrir le métier de recruteur. Par la suite, Michael Page m’a contactée pour une opportunité dans leur agence, plus grande et reconnue. J’y ai vu une belle chance d’apprentissage et d’évolution, alors j’ai accepté. Depuis 2023, je fais partie de Michael Page, dans la division des postes administratifs et RH. Je recrute pour des postes administratifs et RH de tout niveau de séniorité, que ce soit dans le privé, le public, la banque, le trading, l’immobilier ou même pour des bureaux d’architecture. Chaque secteur a des exigences spécifiques, et c’est stimulant de trouver le profil adapté à chaque environnement. Dans notre division, nous sommes deux : je gère les recrutements permanents, tandis que ma collègue se concentre sur les contrats temporaires.
Quelles sont les principales étapes du processus de recrutement dans ton entreprise ?
Dans mon travail, il ne suffit pas d’attendre que les clients nous contactent. Nous devons aussi démarcher activement les entreprises, car il est essentiel de se distinguer des autres agences. Développer et entretenir un portefeuille de clients est une part cruciale de notre travail.
Concrètement, dès qu’un besoin se présente chez un client, je prends contact pour discuter du poste, et si possible, je le rencontre en personne (pour un café ou un déjeuner, par exemple). Cela permet de mieux comprendre ses attentes. Ensuite, je rédige une description de poste que je publie pour attirer des candidats. En 24 à 48 heures, je reçois souvent jusqu’à 500 candidatures, que je trie pour sélectionner les profils les plus adaptés. À partir de là, je rencontre les candidats présélectionnés et, en fonction des critères définis (salaire, préavis, localisation, langues, expérience, soft skills), je propose au client une sélection de 4 à 5 candidats. Je coordonne également les entretiens avec le client et j’accompagne les candidats en amont pour qu’ils soient bien préparés. Nous voyons nos candidats comme des « trésors » et faisons en sorte que les entretiens se déroulent au mieux pour eux. Mon rôle est donc d’assurer l’interface entre le client et le candidat.
Que signifie le terme « biais » pour toi dans le cadre d’un entretien d’embauche ?
Le biais peut toucher tout le monde, que ce soit le candidat ou le consultant. Par exemple, un candidat peut essayer de s’adapter aux attentes du recruteur pour donner l’impression qu’il est parfait pour le poste. Du côté du recruteur, on peut se persuader qu’un candidat est l’idéal alors qu’on perçoit que ce n’est peut-être pas le cas. Cela m’est déjà arrivé : je voulais tellement qu’un profil soit le bon que j’ai ignoré des signaux, et j’en ai ensuite payé les conséquences.
Un exemple de biais est celui de la similarité, on se retrouve à favoriser un candidat avec qui on partage des centres d’intérêt ou des traits de caractère, ce qui peut fausser notre jugement, car on s’éloigne des besoins strictement professionnels du poste.
En entretien, utilises-tu davantage ton intuition ou une structure établie ?
Cela dépend beaucoup du secteur dans lequel on recrute. Par exemple, pour des postes en construction ou en IT, les compétences techniques sont primordiales, et l’évaluation se fait de façon plus standardisée. Dans mon domaine, les soft skills sont souvent plus déterminants. Cela implique un équilibre entre structure et intuition : d’un côté, je dois évaluer les compétences techniques de manière rigoureuse, mais je fais également confiance à mon intuition pour évaluer si la personne correspond bien à la culture de l’entreprise.
Je pose des questions comme « comment vous vous décrivez », « comment êtes-vous dans la vie quotidienne », ou encore « où êtes-vous né(e) » et « avez-vous une famille », toujours avec tact pour respecter leur vie privée. Mon objectif est de saisir qui est la personne au-delà du parcours professionnel.
Peux-tu partager un exemple où tu as identifié un biais potentiel pendant un entretien ? Comment as-tu réagi ?
Deux mois après mon arrivée chez Michael Page, j’avais un poste à pourvoir dans une entreprise de trading, secteur très dynamique et exigeant. J’ai rencontré une candidate qualifiée mais qui m’a clairement dit qu’elle recherchait un environnement moins stressant. Cependant, par manque de profils adaptés, j’ai choisi de la présenter en me disant qu’elle pourrait s’adapter. Elle n’a tenu que trois semaines. Cet échec m’a fait réaliser que j’avais biaisé mon jugement en essayant de « me convaincre » qu’elle convenait, un biais de sélection par manque de candidats. J’ai dû par la suite trouver un remplaçant pour ce poste, et j’ai pris cet échec comme un apprentissage.
Lors du tri des CV, as-tu déjà envisagé de masquer les noms ou les photos pour éviter les biais ?
L’idée est intéressante, mais dans la réalité, nous manquons souvent de temps pour anonymiser les candidatures. Par ailleurs, les biais peuvent émerger dès la définition des critères du client. Par exemple, certains expriment des préférences comme vouloir une femme résidant en Suisse, à Genève et sans enfants. Dans ce cas, je garde un certain équilibre : je rencontre tous les candidats potentiellement intéressants, même si certains détails peuvent ne pas correspondre exactement aux critères. Il m’arrive de présenter un candidat hors de ces attentes initiales si son profil est vraiment excellent.
As-tu déjà constaté des biais de genre en entretien ?
Oui, j’ai remarqué que les femmes, lorsqu’elles se décrivent, mettent plus souvent en avant des qualités comme l’empathie, l’orientation humaine et la douceur. Les hommes, en revanche, mentionnent souvent des compétences techniques, comme la réactivité, la rapidité et l’orientation solutions, et rarement des qualités personnelles. Pour des postes de niveau élevé, comme HRBP, je constate aussi qu’une femme de 50 ans, avec un parcours solide, va plus souvent valoriser ses compétences techniques.
Comment se passe l’utilisation de tests standardisés dans le cadre des recrutements chez vous ?
Nous disposons d’une plateforme de tests mise en place cette année, utilisée principalement à la demande du client (environ 30% des cas pour ma part). La plupart du temps, il s’agit de tests de personnalité, mais nous avons aussi accès à des tests techniques. Les résultats sont envoyés sous forme de rapport PDF au client et parfois aussi au candidat s’il souhaite un retour. Les tests peuvent être un avantage ou un frein, selon l’interprétation des résultats par le client. Il est essentiel d’utiliser un test pertinent mais de ne pas en faire l’unique base de décision.
Si tu pouvais créer un recruteur idéal avec l’intelligence artificielle, quelles valeurs et compétences souhaiterais-tu lui inculquer ?
Je mettrais l’accent sur l’écoute active. Souvent, nous avons tendance à projeter nos propres attentes dans les réponses du candidat, alors qu’il est essentiel d’écouter véritablement. Je pense aussi que l’idéal est de faire preuve de patience et d’empathie, des qualités importantes pour appréhender la personnalité du candidat dans toute sa complexité.
Le sujet des biais en recrutement est-il suffisamment abordé chez Michael Page ? Que pourrait-on améliorer ?
Je pense que pour un recruteur débutant, une formation sur les biais pourrait être utile, même si Michael Page n’en propose pas. Cependant, une sensibilisation excessive pourrait aussi limiter notre spontanéité. Selon moi, c’est avec l’expérience que l’on devient réellement conscient des biais et qu’on apprend à les gérer.
Un exemple : j’avais une candidate qui se disait ouverte à tout type de poste, aussi bien dans une petite PME de 5 personnes avec des avocats qu’au sein d’un service RH de 5 personnes dans une banque. Elle ne comprenait pas les refus qu’elle recevait et je lui ai expliqué qu’elle semblait vouloir « se conformer » à chaque poste, sans exprimer de préférence réelle. Cela l’a aidée à clarifier ses attentes et à mieux s’orienter dans sa recherche.